Rencontre avec Alain Moussu

Docteur vétérinaire et militant de la biodiversité sur le plan de la conservation, Alain Moussu a fondé la LPO PACA et le Fonds Univet Nature. Retour d’expérience de 40 ans d’actions pour les animaux.

Alain Moussu – Réserve Ambodiriana, Madagascar
Alain Moussu – Réserve Ambodiriana, Madagascar

Quels ont été les éléments déclencheurs pour ton métier de vétérinaire ?

A l’instar de nombreux vétérinaires, je n’ai pas eu vraiment à choisir ce métier, il s’est imposé à moi avec la force d’une passion pour le monde animal. Mes premiers souvenirs d’enfance sont peuplés de hannetons et de moineaux domestiques. Il n’y avait pas d’animaux à la maison. La série TV « Daktari » a fait le reste…

Mon engagement s’appuie donc sur la double nécessité de soigner mes frères animaux, et de participer à la protection des animaux sauvages et leurs habitats naturels. En sortant de l’Ecole d’Alfort en 1984, j’ai décidé que la première de ces deux activités serait professionnelle, la seconde bénévole.

J’ai ensuite compris que les vétérinaires sont nombreux à s’engager ainsi pour la biodiversité animale, mais qu’ils le font le plus souvent sur un mode individuel. L’engagement de la profession n’est donc pas valorisé à la hauteur qu’il mérite.

Quelles sont les dates clés de ton engagement?

Je crois que j’ai commencé à soigner les poussins de moineaux tombés du nid vers l’âge de 8 ans.

Entre 1987 et 1990, un long voyage initiatique en Asie du Sud et Australie m’a permis de mieux comprendre les interactions homme-animal dans leur diversité géographique et culturelle, et m’a convaincu que les vétérinaires doivent être les ambassadeurs sans frontières de ces interactions.

Praticien canin à partir de 1990 à Nice, et à Hyères depuis 2004, j’ai organisé mes cliniques et équipes pour un accueil efficace et bénévole de la faune sauvage en détresse, créant ainsi des points de regroupement de ces animaux envoyés par les cliniques voisines (ou moins voisines…).

Adhérent puis administrateur de l’ARPON (Association régionale PACA pour la protection des oiseaux et de la nature) à partir de 1994, j’ai présidé cette association, puis j’ai piloté sa transformation en LPO PACA (Ligue pour la Protection des Oiseaux PACA) dont j’ai assumé la présidence jusqu’en 2011.

Associé fondateur de la société d’exercice SAS Univet en 2018, j’ai présenté le projet d’un fonds de dotation vétérinaire (Univet Nature) à mes nouveaux associés et au Président d’Univet, Christophe Navarro, qui l’ont adopté avec enthousiasme. Ce projet est le fruit d’une collaboration inédite entre des vétérinaires et des écologues, notamment plusieurs acteurs de la LPO PACA, dont son directeur Benjamin Kabouche (aujourd’hui directeur d’Univet Nature). Mon objectif est de convaincre et fédérer le plus grand nombre pour que des vétérinaires et des ASV soient des acteurs de la protection de la nature.

Alain Moussu - observation des oiseaux
Alain Moussu – observation des oiseaux

Quelles sont les missions de sauvegarde que tu as initiées les plus marquantes ?

Aves les équipes de la LPO PACA, j’ai eu l’honneur de présider à de nombreuses et belles initiatives comme par exemple :

  • Réintroduction des Vautour fauve et Vautour moine dans les gorges du Verdon
  • Programme européen Life en faveur des Puffins sur les îles d’Hyères
  • Gestion du Centre régional de sauvegarde de la faune sauvage de Buoux
  • Accueil annuel du public au Camp de migration du Fort de la Revère
  • Publication d’atlas régionaux sur les oiseaux et des mammifères
  • Lancement de Faune PACA, base de données digitale et participative sur la faune sauvage
  • Création de Réserves Naturelles Régionales (Partias, Daluis)
  • Large programme d’éducation à l’environnement à destination de tous les publics

Fondateur d’Univet Nature ( https://univetnature.org/ ), je copilote actuellement les partenariats avec 17 associations françaises bénéficiaires du fonds de dotation, dont certaines impliquent fortement les vétérinaires :

  • FAUNE ALFORT (Dr Jean-François Courreau) : centre de sauvegarde de la faune sauvage à Maisons-Alfort.
  • LPO PACA (Dr Franck Dupraz) : centre régional PACA de sauvegarde de la faune sauvage.
  • YABOUMBA (Dr Norin Chaï) : centre de sauvegarde de la faune sauvage à Sumatra, Indonésie.
  • HUTAN (Dr Marc Ancrenaz) : programme en faveur des orangs-outans et éléphants de Bornéo, Malaisie.
  • SOPTOM (Dr Franck Bonin) : village des tortues à Ifaty, Madagascar.
  • MANU (Dr Caroline Blanvillain) : conservation des oiseaux endémiques de Polynésie.

Une partie des fonds d’Univet Nature provient des microdons « biodiversité » collectés dans 60 cliniques (en avril 2021), une action que j’ai initiée en 2018 avec la start-up Heoh (le développeur du logiciel à installer sur le terminal de paiement).

Alain Moussu, Franck Bonin et Antoine Cadi pour les tortues de Madagascar Photo Univet Nature
Alain Moussu, Franck Bonin et Antoine Cadi pour les tortues de Madagascar Photo Univet Nature

Selon toi quel sera le rôle des vétérinaires dans la société de demain ?

En 2016, notre confrère Christophe Carlier a consacré une thèse passionnante à ce thème : « Le développement durable : une réponse à la crise d’identité de la profession vétérinaire». En conclusion de sa thèse, il souligne qu’ « il est temps pour la profession de réfléchir comme une entreprise sur quatre niveaux de responsabilité, économique, juridique, éthique et philanthropique. Imaginer la durabilité de la profession vétérinaire, c’est l’envisager au travers des attentes de ses parties prenantes. Imaginer la durabilité de la profession vétérinaire, c’est l’ancrer profondément dans la société. Les vétérinaires possèdent une aura particulière, ils aiment les animaux. Ils sont les garants du lien homme-animal. Un lien extrêmement puissant puisqu’il rappelle à l’homme son animalité qu’il a trop longtemps voulu nier en se coupant de la nature et en considérant les animaux uniquement comme des ressources. Nous appelons, entre autres, la profession vétérinaire à se poser la question de l’éthique animale et à définir son propre courant de pensée ».

Au cœur d’une pandémie mondiale, le concept One Health vient encore témoigner du rôle que le vétérinaire doit revendiquer en regard de la complexité des relations homme-animal.

En 2021, j’ai publié avec le Dr Guerric Radière la vision d’Univet Nature s’agissant de One Health (https://univetnature.org/2021/02/17/univet-nature-sengage-dans-linitiative-one-health/), vision dont un des axes majeurs est la volonté de préparer et organiser les conditions réalistes d’une large participation des établissements de soins vétérinaires à cette action One Health, partant du constat que les praticiens en sont aujourd’hui majoritairement absents.

2015 - Déforestation Bornéo - Benjamin Kabouche
2015 – Déforestation Bornéo – Benjamin Kabouche

Pourquoi avoir fondé UNIVET NATURE ?

Univet Nature est un fonds de dotation d’initiative vétérinaire. Il a pour vocation de créer un flux financier entre (notamment) la profession vétérinaire, ses partenaires et ses clients d’une part, et des associations de protection de la nature d’autre part (https://univetnature.org/univet-nature/).

Fruit d’une alliance inédite entre des vétérinaires et des écologues, Univet Nature promeut un engagement moderne, celui d’une profession toute entière au service d’une grande cause.

Le Conseil d’Administration d’Univet Nature est statutairement constitué pour moitié de vétérinaires, sans prérequis sur leur activité ou leur société d’exercice s’ils sont praticiens.

Univet Nature est en forte croissance, il a distribué 25.000 € en 2019 et 100.000 € en 2020. Avec le recrutement de son directeur en 2021, Univet Nature veut accélérer son développement et met en oeuvre de nouvelles actions de mécénat, d’expertise, de compensation carbone.

Auprès de la profession vétérinaire et du grand public, une des nouveautés importantes cette année sera le Gala de l’espoir pour les animaux sauvages, organisé en ligne le 27 septembre 2021, une initiative vétérinaire tout à fait originale (https://gala-univet.fr/).

Une autre innovation en 2021 a été la création du Trophée Univet Nature, un prix accordé à 3 thèses vétérinaires portant sur la biodiversité ( https://univetnature.org/trophee-univet-nature/ ).

Trophée Univet Nature

Pourquoi penses-tu que les cliniques et les vétérinaires ont un rôle prépondérant à jouer pour la biodiversité?

Pendant que l’humanité martyrise les animaux sauvages, elle n’a jamais autant soigné et choyé ses animaux dits « de compagnie », au premier rang desquels les chiens et les chats, devenus des membres à part entière de la famille. La profession vétérinaire est au carrefour de ce paradoxe insupportable : comment protéger les animaux sauvages au même titre que les animaux domestiques ?

Univet Nature apporte un élément de réponse original en créant une chaîne de solidarité entre les animaux et en encourageant la générosité des clients des établissements de soins. Lancée fin 2020, la campagne de mobilisation sociétale « Je prends soin de mon animal tout en protégeant la nature » s’articule autour du microdon.

Cette campagne s’appuie sur la générosité de nos clients, lors de leurs achats en ligne (sur les plateformes vétérinaires JungleVet et Myvetshop), mais aussi et surtout dans les établissements de soins qui ont installé le logiciel de microdon Heoh sur leur TPE (terminal de paiement électronique).

Lorsque le logiciel Heoh a été installé sur le TPE, le client se voit proposer à chaque transaction de faire un don de 50 centimes pour les animaux sauvages (https://univetnature.org/acteurs-de-la-protection-de-la-nature-avec-le-micro-don/). Le taux d’acceptation du client est de 60% en moyenne, et l’équipe soignante est félicitée pour cette initiative, souvent même par des clients qui viennent de refuser la proposition de don.

Une clinique de taille moyenne collecte autour de 2000 € par an. A Madagascar, cette collecte correspond au salaire annuel de 4 à 5 personnes, recrutées par exemple pour la protection des Lémuriens ou pour la reforestation. Cette action permet donc de lutter contre la pauvreté, un prérequis à la protection de la biodiversité dans de nombreux pays.

Le microdon est sans engagement pour la structure vétérinaire (elle peut le désactiver quand elle veut), non chronophage, non intrusif, quasi-gratuit (les frais bancaires sur les 50 centimes), et ne génère aucune complication comptable. C’est une action qui mobilise tous les amoureux de la nature – propriétaires d’animaux, ASV, vétérinaires, associations bénéficiaires (https://www.youtube.com/watch?v=RkCb2dkapko) – et qui génère de la fierté tant chez les équipes soignantes que chez les clients des cliniques.

L’installation du microdon est renforcée par des outils de communication qui valorisent, dans la structure vétérinaire, l’engagement de celle-ci pour une grande cause animale.

Récemment, un groupe de travail bénévole a vu le jour, constitué de 4 vétérinaires, 2 étudiants vétérinaires et 1 ASV, dont la mission est de recruter des établissements de soins vétérinaires collecteurs de microdons.

Visuel de la campagne dédiée aux établissements de soins vétérinaires

Je prends soin de mon animal, tout en protégeant la nature

Quel est le futur pour notre profession vétérinaire dans la protection de la biodiversité ?

L’effondrement de la biodiversité est une tragédie qui :

  • prive nos enfants de la beauté du monde
  • réduit l’éventail des ressources humaines (alimentaires, pharmaceutiques, génie biomimétique etc.)
  • favorise l’émergence de pandémies (concept One Health)

L’humanité n’a moralement pas le droit de provoquer l’extinction des espèces avec lesquelles elle partage cette planète.

Puisqu’il n’est pas trop tard pour agir, et que les programmes de conservation font la preuve de leur efficacité, il faut nous mettre au travail collectivement.

En tant que protecteurs de la vie animale au quotidien, les vétérinaires et les ASV sont considérés par le grand public comme des acteurs légitimes de la protection de la nature, et des acteurs de confiance.

6000 établissements de soins, en contact régulier avec la moitié de la population française, peuvent collecter sans effort autour de 10 millions d’euros par an.

S’ils le décident, ils peuvent devenir, avec le microdon « biodiversité » notamment, une force majeure de la protection des animaux sauvages dans ce pays.

Alain Moussu - Visite de la pépinière de Helpsimus photo Univet Nature
Alain Moussu – Visite de la pépinière de Helpsimus photo Univet Nature