Le trafic illégal d’espèces sauvages, une criminalité aux enjeux multiples

Le trafic illégal des espèces sauvages, de faune et de flore, participe à l’érosion de la biodiversité et touche au moins 24 % des vertébrés terrestres. Environ 100 millions de plantes et d’animaux sont l’objet de ce commerce chaque année (Hughes et al., 2023). Avec une estimation de 21 milliards d’euros générés par an, c’est aujourd’hui le trafic transnational le plus lucratif au monde derrière le trafic d’armes et de drogues (source INTERPOL). Il constitue un véritable trafic en bandes organisées avec des réseaux criminels.             

Les répercussions ne se limitent pas aux espèces. Par effet de cascade les écosystèmes sont aussi touchés dans leur fonctionnement global : altération des réseaux de dispersion de graines, cascades trophiques, changements durables de la composition des communautés de plantes, altération des stocks forestiers de carbone, introduction d’Espèces Exotiques Envahissantes (EEE). Par ailleurs, ce trafic soulève des problématiques de santé publique. En effet, les risques sanitaires, comme les zoonoses, sont augmentés par le contact avec des animaux vivants ou morts (viande, carcasses). Les primates et les chauve-souris sont par exemple vecteurs du virus EBOLA.

Photo principale : Individus de Roussette de Sulawesi (Rousettus celebensis) sur un marché, espèce endémique d’Indonésie, avril 2023. Crédit photo : Yvan Kereun Appa alias Animaux MDE

La France est aux premières loges de ce trafic international. En effet, notre pays constitue une plateforme tournante pour le trafic des espèces sauvages : c’est un carrefour des imports provenant d’Afrique de l’Ouest majoritairement, et des exports illégaux à destination de l’Asie et du reste de l’Europe. La France est également un pays à l’origine de ce trafic.

« Entre 2008 et 2017, plus de 28 millions de spécimens ont été importés en France, premier pays européen d’arrivées pour les coraux, les reptiles, les sangsues et les gastropodes. Il est aussi le premier exportateur d’oiseaux, de reptiles et de poissons, et notamment de civelles. (…). En France, le commerce illégal concerne aussi les oiseaux chanteurs, tels que les chardonnerets élégants, dont les effectifs ont décliné de 40 % en dix ans, ou les tortues d’Hermann, qui peuvent se vendre entre 50 et 150 euros la pièce. » Source : Le Monde, 8 avril 2023.

Les civelles sont les alevins des anguilles, espèce menacée d’extinction.

La Convention sur le commerce International des espèces de faune et de flore menacées d’extinction (CITES), en vigueur depuis le 1er juillet 1975, vise à protéger, tout ou partie, des espèces sauvages en réglementant le commerce légal pour qu’il reste durable. Malgré cette convention, en 2020, la France figure en deuxième position derrière l’Allemagne en termes de saisies d’espèces protégées par la CITES. Actuellement, les saisies douanières réalisées à l’aéroport de Paris Charles de Gaulle ne représenteraient que 10 % de ce commerce illégal. Un autre biais majeur réside dans l’estimation de ce trafic. D’après le WWF, 90 % (en tonnes) du trafic d’espèces protégées se fait par voie maritime et seulement 2 % des conteneurs sont contrôlés. De plus, une autre voie de trafic beaucoup plus difficile à appréhender et stopper passe par internet. L’OFB (Office Français de la Biodiversité) et l’Oclaesp (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique), tentent d’y faire face en collaborant avec des associations de protection de la nature. Celles-ci effectuent des signalements lors d’annonces ou sites suspects. Enfin, la demande en nouveaux animaux de compagnie (NAC) alimente allégrement ce trafic, notamment pour les espèces de reptiles, d’amphibiens et d’oiseaux.

Le Couscous des Célèbes (Ailurops ursinus) ou « l’ours de Sulawesi ». Jeune individu sauvage saisi chez un particulier, Sulawesi avril 2023. Crédit photo : Yvan Kereun Appa alias Animaux MDE
Le Couscous des Célèbes (Ailurops ursinus) ou « l’ours de Sulawesi ». Jeune individu sauvage saisi chez un particulier, Sulawesi avril 2023. Crédit photo : Yvan Kereun Appa alias Animaux MDE

Il est urgent et essentiel d’agir de manière coordonnée et à différentes échelles. La sensibilisation et l’information des voyageurs sur les enjeux du trafic illégal, tant pour les espèces que pour la sécurité sanitaire, sont indispensables. Il faut également former le personnel qui intervient lors de saisies, lui donner les moyens humains, matériels et financiers pour améliorer la quantité et la qualité des contrôles, avec par exemple la mise en place de brigades cynophiles. Il faut également augmenter les solutions pour placer les animaux saisis, et développer et aider les structures d’accueil. Enfin, et surtout, il est indispensable de lutter contre le trafic dans les pays d’origine et d’implémenter des solutions en amont de l’export. Pour cela, les compagnies aériennes devraient par exemple uniformiser le volume de bagages autorisés et devenir responsables de leur cargaison (inscrire dans le droit international aérien la responsabilité du transporteur pour sa cargaison).

Par ailleurs, les peines encourues par les trafiquants ne sont pas suffisantes pour les dissuader. Cette criminalité environnementale devrait être jugée et punie au même degré que le trafic de stupéfiants et la répression pénale devrait être renforcée. Actuellement, le commerce illégal d’espèces protégées avec la circonstance aggravante « bande organisée » n’est puni que de sept ans d’emprisonnement (et 750 000 euros d’amende) contre trente ans de réclusion pour le trafic de stupéfiants. Les peines les plus lourdes ne sont que rarement appliquées. La surveillance des autorités est en outre plus facile à déjouer pour ce trafic, en lien avec les difficultés d’identification des espèces et la méconnaissance des quotas réglementaires.

Malgré l’évolution des sanctions et la prise en compte grandissante de ce trafic, les moyens de lutte sont encore insuffisants en France et à l’international.             

Les membres d’Univet Nature étaient sur le terrain à Sulawesi en avril 2023, accompagnés de Yvan Kereun Appa alias Animaux MDE. La visite du Tasikoki Wildlife Rescue and Education Centre a montré la lutte quotidienne menée contre ce trafic illégal. L’éducation des enfants, ainsi que l’accueil et la réhabilitation, quand c’est possible, des espèces animales saisies font partie des actions mises en œuvre.

Cacatoès blanc (Cacatua alba) saisis et hébergés au Tasikoki Rescue Centre. Crédit photo : Yvan Kereun Appa alias Animaux MDE
Cacatoès blanc (Cacatua alba) saisis et hébergés au Tasikoki Rescue Centre. Crédit photo : Yvan Kereun Appa alias Animaux MDE
Le manager du Tasikoki Wildlife Centre, les membres d’Univet Nature et Yvan Kereun Appa. Crédit photo : Yvan Kereun Appa alias Animaux MDE
Le manager du Tasikoki Wildlife Centre, les membres d’Univet Nature et Yvan Kereun Appa. Crédit photo : Yvan Kereun Appa alias Animaux MDE

Rédigé par Marie Jacquier

Bibliographie et ressources complémentaires :

HUGHES, Liam J., MORTON, Oscar, SCHEFFERS, Brett R. et EDWARDS, David P., 2023. The ecological drivers and consequences of wildlife trade. Biological Reviews. juin 2023. Vol. 98, n° 3, pp. 775‑791. DOI 10.1111/brv.12929.

CHABER, Anne-Lise, ALLEBONE-WEBB, Sophie, LIGNEREUX, Yves, CUNNINGHAM, Andrew A. et MARCUS ROWCLIFFE, J., 2010. The scale of illegal meat importation from Africa to Europe via Paris: Illegal intercontinental meat trade. Conservation Letters. septembre 2010. Vol. 3, n° 5, pp. 317‑321. DOI 10.1111/j.1755-263X.2010.00121.x.

Les recommandations du comité français de l’UICN : https://uicn.fr/wp-content/uploads/2022/11/trafic-especes-sauvages-cf-uicn-web.pdf

Listes CITES : https://checklist.cites.rorg/#/en

Replay du colloque du 28 mars 2023, sur le trafic et le braconnage des espèces sauvages : https://www.youtube.com/playlist?list=PL6DC7Y6bax6vZy6Gj01K9YrhZ3iTstvCp