Comment prévenir les pandémies en protégeant les forêts ?

Les corrélations entre la transmission à l’homme de virus de la faune sauvage et le changement d’occupation des terres sont connues, mais révèlent rarement les mécanismes sous-jacents.

En Australie subtropicale, une étude récemment parue dans Nature (novembre 2022) tente d’expliquer les liens et les mécanismes de causes à effet impliqués. Cette compréhension fixe le cadre des contre-mesures écologiques à développer afin de prévenir les pandémies. Le comportement de chauves-souris de la famille des Pteropodidés, Pteropus alecto, et la propagation du virus Hendra aux chevaux sont étudiés à partir de données empiriques s’étalant de 1996 à 2020. La zone d’étude est délimitée par les phénomènes d’émergence du virus Hendra.

En été, les ressources alimentaires sont abondantes et largement réparties. En hiver, à l’inverse, les arbres fournissant de la nourriture sont plus rares. Ces chauves-souris nomades se déplacent normalement entre différents sites pour suivre les épisodes de floraison éphémères des Eucalyptus spp. Lorsque les arbres qui fournissent de la nourriture en hiver ou au printemps ne fleurissent pas (tous les 1 à 4 ans en raison de la variation des températures et des précipitations), les chauves-souris connaissent de brèves pénuries alimentaires (de 3 à 12 semaines). Elles réagissent à ces pénuries en se perchant en petits groupes (fission de population) à proximité d’une nourriture fiable mais souvent sous-optimale dans les jardins urbains et les zones agricoles.

Avant 2002, ces réponses comportementales ne persistaient que pendant la durée de stress alimentaire aigu, puis les chauves-souris regagnaient leur site hivernal habituel, dans les forêts indigènes restantes, pendant les périodes de floraison hivernale. Ainsi, de 1996 à 2002 aucune propagation du virus de Hendra n’a été détectée.

Cependant, le défrichage, pour le développement urbain et l’agriculture, a entraîné la concentration d’une grande partie de la population de chauves-souris dans de petites zones lors des épisodes de floraison dans les forêts restantes. En effet, plus de 70 % de la forêt qui constituait l’habitat hivernal des chauves-souris a été défrichée avant 1996. En 2018, près d’un tiers de l’habitat présent en 1996 avait été défriché. La perte d’habitats, où a lieu une floraison hivernale, et le déclin consécutif de l’abondance du nectar ne permettaient plus d’assurer la viabilité des groupes de chauves-souris et ont contribué à la persistance des chauves-souris dans les zones agricoles et urbaines. Les groupes se scindent désormais en plus petits groupes (le nombre de sites de perchoirs a été multiplié par cinq, 87 % des nouveaux perchoirs se formant dans des zones urbaines). Le climat (oscillations El Nino notamment), le changement d’aire d’hivernage et la nourriture sous-optimale causent des stress anthropique et nutritionnel. Ces effets cumulatifs entrainent une excrétion accrue du virus Hendra et favorise la contamination des chevaux, hôtes intermédiaires qui se trouvent en zone agricole, et donc la transmission à l’homme. Ce sont donc les interactions entre le changement d’utilisation des terres et le climat qui modifient le comportement des chauves-souris, augmentant le risque de propagation des pathogènes. Le risque zoonotique est toutefois atténué par les poussées de floraison hivernale des arbres des forêts restantes attirant au moins 100 000 chauves-souris, en diminuant le contact entre les chauves-souris et les chevaux.

Pteropus alecto
Pteropus alecto

Par ailleurs, l’augmentation du nombre de chauves-souris en zones urbaines engendre des conflits avec les humains.

Ainsi, la perte de la forêt indigène, qui abrite de grands rassemblements de chauves-souris nomades, semble être fondamentale dans la cascade d’événements qui conduit à l’émergence du virus. Cette dernière pourrait être réduite par des contre-mesures écologiques comme la protection et la restauration des forêts à floraison hivernale, qui constitueraient des stratégies durables et efficaces pour réduire l’émergence du virus Hendra et protéger la santé du bétail et des humains. Prévenir l’émergence de maladies zoonotiques nécessite de caractériser l’écologie des espèces réservoirs et hôtes et leur interaction avec leur environnement dans le contexte d’un changement rapide d’utilisation des terres et de variabilité climatique.

Prédiction de l’émergence du virus basée sur l’écologie des chauves-souris et les conditions environnementales dans le cadre d’un modèle Bayesien. De forts événements El Niño ont précédé des pénuries alimentaires (facteur suffisant mais non nécessaire pour avoir l’émergence du virus). Celles-ci ont entrainé la fission de la population et la formation de perchoirs persistants dans les zones agricoles et urbaines. Le risque d’émergence est le plus élevé lorsque les chauves-souris se nourrissent dans des zones agricoles au cours d’un hiver qui suit une pénurie alimentaire. La présence d’une floraison hivernale atténue le risque d’émergence en attirant les chauves-souris et en les éloignant des zones agricoles.

Pour plus de détail consultez l’article : Eby, P., Peel, A.J., Hoegh, A. et al. Pathogen spillover driven by rapid changes in bat ecology. Nature 613, 340–344 (2023). https://doi.org/10.1038/s41586-022-05506-