Rencontre avec Chantal Misandeau
Initiée par son grand-père depuis sa plus tendre enfance, Chantal Misandeau est une naturaliste installée sur l’île de la Réunion. Chantal préside actuellement l’association ADAFAM qui a permis la protection de la forêt d’Ambodiriana-Manompana à Madagascar.
La forêt d’Ambodiriana, l’une des dernières reliques des forêts tropicales humides de basse altitude de la côte Est de Madagascar.
La forêt est située à 200 km au nord de Tamatave juste en face de l’île Sainte-Marie à 7 km à pied du village côtier de Manompana. Considérée comme une forêt sacrée depuis les temps anciens, une autorisation de défrichement donnée à un exploitant forestier en 1947 va faire douter les villageois de son caractère inviolable. En 1996, notre intervention réaffirme le caractère patrimonial du lieu.
Comment êtes-vous passée de la découverte du site à la création d’une association de défense de la forêt d’Ambodiriana ?
Ce fut lors d’un voyage, en traversant la baie de Tintingue sur un bateau de pêche, que j’ai aperçu comme une trace lumineuse dans les collines, Personne à bord ne semblait savoir ce que c’était. Ma curiosité me fit revenir et découvrir la 1ère cascade en 1993. Pendant quelques années des amis naturalises de La Réunion m’accompagneront pour découvrir cette nature sauvage. En 1996, lors d’un ces voyages de naturalistes, à notre arrivée sur le site, nous découvrons les cendres encore fumantes d’une petite partie de la forêt. La beauté n’est donc pas une valeur universelle ? Ce spectacle de désolation nous incite en décembre 1996 à créer une association 1901 de « Défense de la Forêt d’Ambodiriana ». Cette initiative qui vise à re-sacraliser le lieu sera très bien accueillie au village et validée officiellement en 1999.
Une richesse biologique exceptionnelle
La richesse biologique de la réserve est supérieure en nombre et en qualité à celle des réserves de la région comparables en taille à la même altitude L’hypothèse est que cette biodiversité et le fort taux d’endémisme sont dus à la topographie du site. Deux collines qui permettent une exposition variée aux éléments sont tranchées dans les roches dures par le fleuve Manompana. De nombreux ruisselets qui les ont érodées les irriguent créant une multitude de micro-niches écologiques.
Parmi les espèces inventoriées ou étudiées on dénombre :
- 11 espèces de lémuriens dont 10 figurent au classement de l’IUCN ;
- 27 reptiles dont 17 à l’IUCN ;
- 67 espèces de grenouilles dont 2 très rares ;
- 60 espèces d’oiseaux dont 7 dans la liste de l’IUCN.
Les insectes les mieux étudiés sont les phasmes tous endémiques d’Ambodiriana.
Une flore remarquable
Sur le plan de la flore on trouve 103 espèces d’orchidées dont certaines très rares et une dizaine encore inconnues pour la science. Sur les 33 espèces de palmiers, 19 cités par l’IUCN, la forêt accueille l’espèce Dypsis lineraris qui est une espèce… présumée éteinte !
Malgré le contexte sanitaire des projets de protection ont-ils pu être réalisés en 2020 ?
En 2020, les patrouilles de surveillance aussi bien en forêt que sur le fleuve Manompana ont été renforcées. L’équipe de surveillance a participé à la collecte de graines d’espèces endémiques pour enrichir la pépinière créée en 2019. En mars 2020, la sécurisation foncière de nouveaux espaces a permis de reboiser une nouvelle parcelle En novembre, grâce aux nouvelles technologies embarquées sur les GSM des responsables locaux, nous avons pu piloter à distance l’action de suivi de la parcelle dont l’installation des plants avait été effectuée en mars 2020. La replantation a bénéficié de beaucoup de précautions et d’une attention extrême ce qui explique sans doute le résultat exceptionnel des 82 % de coefficient de réussite.
La crise sanitaire de la Covid 19 impacte durement les villageois de Manompana ?
Les préoccupations sanitaires viennent bien après les problèmes de la crise économique. En effet, toute la filière de l’écotourisme que nous avions initiée s’est effondrée entraînant pour les guides, pisteurs, piroguiers, restaurateurs, hôteliers du village, une perte de revenus.
Par ailleurs, les paysans souffrent de l’arrêt des exportations de vanille et de girofle. Mais pendant la crise, nous continuons à aider nos prestataires et nos partenaires locaux à respecter les gestes barrières recommandés par le gouvernement malgache en leur fournissant les masques, « cache-bouches », matériel de lavage des mains au savon et gel hydro-alcoolique.
Univet Nature soutient ADAFAM depuis 2018. Pouvons-nous mesurer l’avancée sur le terrain ?
Les acquisitions d’espaces défrichés progressent régulièrement. Les formalités d’officialisation de ces acquisitions se matérialisent sur le terrain par la pose de bornes et se poursuivent dans les bureaux par des démarches longues qui avancent progressivement. Les sensibilisations à l’environnement ouvrent les consciences des villageois sur la valeur de leur patrimoine et les incitent à le protéger. Des décisions prises en faveur de la forêt montrent l’implication des autorités locales Le renforcement des compétences des membres de l’équipe administrative et comptable permet une gestion rigoureuse. Ce sont les actions de reboisement qui bénéficient bien sûr de cette aide en priorité et elles ont pu débuter en mars et avril 2020 grâce à ma présence sur place, puis être coordonnées à distance. Un savoir déjà acquis auparavant a pu être réemployé et renforcé, en particulier le choix des essences toutes endémiques et inféodées au milieu.
Avant Univet Nature Après l’acquisitions avec l’aide d’Univet Nature Découverte des usages oubliés © ADAFAM
Vers un statut officiel de la réserve
Il est indispensable que les zones protégées obtiennent un statut officiel qui leur assure une protection à très long terme. Il est souhaitable que la gestion soit assurée par une entité dont la structure, l’envergure et les ressources tant financières qu’humaines en garantissent la pérennité.
Cette forêt de basse altitude renferme une biodiversité exceptionnelle. C’est un des derniers espaces sauvages authentiques de Madagascar. Les naturalistes de tous horizons qui viennent y étudier la faune et la flore dans leur milieu naturel soulignent le grand intérêt scientifique de ce site d’exception. Elle permet aux villageois qui travaillent à la valorisation des richesses naturelles de faire vivre leur famille et les retombées financières participent au développement économique du village. C’est pourquoi il est important de continuer à protéger ce joyau.
Pour en savoir + https://www.adafam.org/