Les raies menacées d’extinction : une synthèse de leur biologie et des menaces
Un rêve d’enfant utopique, je m’en rends compte aujourd’hui, était de sauver tous les animaux de la planète. Aujourd’hui vétérinaire j’ai pu constater que ce qui n’est pas visible, qui fait peur, qui est petit ou qui n’est pas un Mammifère n’attire pas l’attention et ne mérite que peu notre considération.
La rédaction d’une thèse de doctorat vétérinaire m’a donné l’opportunité de mettre en lumière des êtres mal aimés, fascinants tant sur le plan physiologique qu’écologique ou comportemental. Les Chondrichthyens (raies, requins et chimères), souvent raccourcis aux requins qui ne sont pourtant pas les espèces majoritaires au sein de ce taxon, méritent, comme tout être vivant, d’être respectés et connus. J’espère que la diffusion de ce travail, qui expose en dernière partie les menaces auxquelles font face ces espèces, aidera à faire connaitre et prendre conscience des vies que mènent au quotidien ces êtres extraordinaires.
À l’heure d’un sixième épisode d’extinction massive de la biodiversité et d’une crise climatique en cours, les préoccupations se sont surtout tournées vers la biodiversité terrestre et peu vers celle marine. Pourtant de nos jours les Chondrichtyens sont pour un tiers d’entre eux menacés d’extinction. Ces espèces vivent en immersion dans un habitat océanique vaste et sont donc peu accessibles pour des études scientifiques malgré leur sensibilité intrinsèque à l’extinction. Ces lacunes dans les connaissances rendent difficiles la compréhension des étapes clés de leur cycle de vie et donc la mise en œuvre de mesures de conservation adaptées, ciblées et efficaces. Or l’amenuisement de leurs populations, en dehors de provoquer leur disparition, menace l’équilibre entier des océans et des mers ainsi que la sécurité alimentaire humaine, ces espèces constituant un moyen de subsistance significatif des pays tropicaux en développement.
On dénombre aujourd’hui 611 espèces de raies bien connues et 75 espèces dont l’état des données ne permet pas d’évaluer leur statut de conservation. Cependant le nombre d’espèces de raies connues ne cesse d’augmenter à l’issue des études comparatives et de la découverte de nouveaux spécimens dans diverses régions du monde. Chaque année, une vingtaine d’espèces nouvelles de Chondrichthyens sont décrites entretenant des débats concernant la taxonomie de ces espèces. L’ensemble des espèces avec une valeur commerciale sont menacées d’extinction ce qui représente un tiers des espèces menacées (soit 60 espèces sur 1041 connues en 2014). La plupart des espèces pêchées ont des usages multiples et sont souvent pleinement utilisées. La majorité (91 %) sont utilisées pour la consommation alimentaire des humains (97 %). Les autres espèces sont utilisées à diverses fins, comme l’alimentation animale (29 %), les vêtements et accessoires à partir des peaux et autres parties du corps (16 %). En outre, pour 16 % des espèces (surtout des Squaliformes menacés) l’huile de foie est utilisée dans les produits pharmaceutiques (9 %) et comme carburant biodiesel (7 %). Les Chondrichtyens sont également prélevés dans la nature pour l’aquariophilie (9 %) et la recherche scientifique (3 %). L’archipel indonésien, plus particulièrement, abrite la plus grande pêcherie de Chondrichthyens au monde avec des activités de pêche illégales, non déclarées ou non réglementées. L’Indonésie est le plus gros pays pêcheur de raies et de requins avec une biodiversité de ces espèces élevée. En plus de la pêche, environ un tiers des espèces menacées se trouvent en danger en raison de la dégradation de leur habitat (31 %), notamment les espèces côtières. La perte et la dégradation de l’habitat est une menace supplémentaire à la surpêche pour près d’un cinquième (19 %) des espèces menacées. Cette menace peut être décomposée en sous-menaces, dominées par le développement résidentiel et commercial qui touche 26 % des espèces menacées ainsi que par l’agriculture et l’aquaculture (principalement la perte et la dégradation des mangroves) impactant 10 % des espèces menacées. Les modifications du milieu naturel, les perturbations humaines, la production d’énergie, l’exploitation minière, les espèces envahissantes et les infrastructures de transports et de services participent aux menaces à hauteur de 12 %. 104 Le changement climatique menace 10 % des Chondrichthyens et aggrave les effets de la surpêche et de la perte d’habitat pour 6 % des espèces.
Figure : menaces pesant sur les Chondrichthyens et pourcentage d’espèces menacées par une menace unique ou une combinaison de menaces. L’histogramme représente le pourcentage d’espèces pour lesquelles chaque menace a été signalée. Le diagramme à barres de droite représente le nombre d’espèces menacées uniquement par l’exploitation (barre supérieure droite) ou par une combinaison de menaces (indiquée par la combinaison de cercles colorés et de lignes de connexion entre chaque menace). Les cercles gris indiquent que la menace n’est pas incluse dans la combinaison. D’après Dulvy et al., 2021.
Des mesures de conservation adaptées sont cependant disponibles. Dans le cas des raies, l’augmentation de la sélectivité des pêcheries est possible par une adaptation des hameçons, des durées, des lieux et des périodes de déploiement des engins de pêche. L’éducation et la sensibilisation permettent en outre d’améliorer les pratiques de manipulation et de remise à l’eau afin de favoriser la survie des individus relâchés. Il faut également axer les recherches sur la compréhension de l’écophysiologie sensorielle des espèces de Chondrichthyens afin de créer des systèmes répulsifs adéquats, tout en limitant les répercussions néfastes sur les fonctions vitales de leur cycle de vie. Les aires marines protégées sont un moyen d’avoir une gestion cohérente de ces espèces hautement migratrices à l’échelle internationale.
Résumé de la thèse :
Deuxième taxon de Vertébrés le plus menacé au monde après les Amphibiens, les Chondrichthyens, comprenant les requins, les raies et les chimères, ont cependant survécu au cours des temps géologiques. La présence inhabituelle de Pteroplatytrygon violacea sur nos côtes méditerranéennes françaises au cours de l’été 2018 a suscité des interrogations quant à des modifications physiologiques, écologiques ou comportementales. De telles observations ont motivé la réalisation de cette thèse qui vise à informer, sensibiliser et mieux comprendre les menaces auxquelles font face les Chondrichthyens. Après avoir retracé l’histoire évolutive de P. violacea, la présentation morpho-anatomique des structures impliquées dans la réalisation des fonctions vitales du cycle de vie permet d’aborder la physiologie locomotrice, alimentaire et reproductrice. Le peu d’informations connues sur l’écologie de cette espèce souligne les lacunes et les recherches à entreprendre, notamment concernant l’état de ses populations et ses schémas de migrations. La physiologie des systèmes sensoriels et locomoteur, replacée dans le contexte écologique rend possible la compréhension des liens et des compromis évolutifs existants avec la phylogénie, l’habitat et le régime alimentaire. Les caractéristiques des traits d’histoire de vie des Chondrichthyens aident enfin à comprendre leur vulnérabilité face aux menaces anthropiques. La pêche, menace majeure, est aggravée par des facteurs de stress tels que la dégradation des écosystèmes, la pollution et le réchauffement climatique. Appréhender les moyens de conservation en place montre leur insuffisance et la nécessité de recherches supplémentaires, afin de mettre en œuvre une gestion écosystémique, intégrée et durable, cohérente à l’échelle internationale de ces espèces hautement migratrices.
Marie Jacquier
Ambassadrice de la Biodiversité
Télécharger la thèse :
http://www2.vetagro-sup.fr/bib/fondoc/th_sout/dl.php?file=2022lyon113.pdf
Pour en savoir plus sur les raies et les requins :
https://www.sharktrust.org/pages/FAQs/category/skates-rays
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