Rencontre avec François Moutou

Docteur vétérinaire, François Moutou est épidémiologiste. Il travaille sur diverses maladies communes à l’homme et aux animaux pour mieux les comprendre et les prévenir. C’est également un naturaliste de terrain, spécialiste des mammifères. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’écologie de la faune sauvage (1).

Univet nature A quand remonte ta vocation pour la faune sauvage et ton engagement pour la conservation de la nature ?

Dès le lycée je souhaitais étudier la zoologie. Etant parisien, j’ai eu la chance de pouvoir fréquenter régulièrement le laboratoire des mammifères et des oiseaux du 55 rue Buffon du Muséum. J’ai été initié à la mammalogie par François de Beaufort. Ma famille m’a encouragé à tenter le concours des écoles nationales vétérinaires pour assurer un diplôme plutôt que partir directement à la faculté. A Maisons-Alfort, j’ai cherché comment rebondir vers la zoologie tout en valorisant la formation acquise. J’ai découvert l’épidémiologie, discipline que je définirai, en simplifiant un peu, comme de l’écologie appliquée non pas à la relation proie-prédateur mais à la relation hôte-microbe (ou parasite). A l’époque les formations en épidémiologie étaient peu nombreuses alors j’ai fait un troisième cycle en écologie à Paris VI (rue d’Ulm) où j’ai pu rencontrer quelques-uns des fondateurs de l’écologie française comme Maxime Lamotte, François Bourlière et Robert Barbault. Les enjeux étaient posés.

Mon investissement dans le monde associatif date des années 1980 avec la SFEPM. Etant parisien je pouvais assister aux réunions de FNE (FFSPN à l’époque), au ministère ou à divers évènements et colloques. J’ai continué à fréquenter le Muséum, passé pas mal de temps avec le WWF-France et assisté à l’émergence du comité français pour l’UICN.

Caracal de Tanzanie – François Moutou

Univet nature Que penses-tu de cette dualité : surinvestissement dans le soin apporté auprès des animaux domestiques dit « de compagnie » et la destruction généralisée de la faune sauvage ?

Pour commencer je précise que n’ayant jamais été praticien, j’assume ma subjectivité dans mes réponses. Il ne semble que de nombreuses consœurs et de nombreux confrères, qui sont d’excellent(e)s clinicien(ne)s, ne sont ni des écologues, ni des zoologistes. Les propriétaires d’animaux de compagnie « aiment » leurs animaux et l’expriment régulièrement dans les soins, avec l’idée que c’est une preuve d’amour de la nature. Il me semble que les cabinets vétérinaires qui les accueillent ne sont pas toujours disponibles pour expliquer la différence.

Colugo de Langkawi, Malaisie – François Moutou

Univet nature Le WWF considère dans son dernier rapport « planète vivante » que 68% des grands animaux ont disparu en 40 ans ? Partages-tu ce constat ? https://www.wwf.fr/rapport-planete-vivante

Je n’ai pas étudié de près les études sur lesquelles ce rapport s’appuie mais ma modeste expérience d’observateur et de voyageur me suggère que ces chiffres s’approchent, malheureusement, de la vérité contemporaine. En Amérique, en Europe, en Afrique, en Asie les visites de zones protégées se limitent de plus en plus à la découverte d’ilots encore un peu préservés, cernés par l’agriculture, les troupeaux domestiques, l’urbanisme, l’industrie. Dans trop de pays la démographie et les inégalités associées ne sont pas maîtrisées. Il existe une recherche continue d’espaces pour une impossible croissance dans un monde fini dont les limites apparaissent de plus en plus nettement.

Il suffit de voir les troupeaux domestiques dans les parcs nationaux français, autorisés, voire la chasse de loisir dans certains d’entre eux, le sort réservé aux carnivores en France toujours, et les arguments utilisés, l’empiètement des élevages dans tellement de parcs nationaux du monde, peu importe les noms, où c’est le plus souvent interdit….

Pour la CITES, entrée en vigueur en 1973 je crois, que dire de l’évolution des populations de l’éléphant d’Afrique depuis ? Ils étaient au moins 1,2 million à la fin des années 1970, ils sont aujourd’hui moins de 400.000. Doit-on dire « Grâce à la CITES et aux diverses protections nationales ils sont encore plus de 300.000 quarante ans plus tard » ou « malgré la CITES et les programmes de protection, ils ne sont même plus 400.000 quarante ans après » ?

Eléphants dans le Ngorongoro, Tanzanie – Francois Moutou

Univet nature Quels sont les programmes de conservation les plus efficaces pour la faune sauvage ?

Chaque voyage permet d’approcher une image instantanée, un instant, mais seuls des retours successifs permettent de mesurer l’évolution sur le temps. Il existe quelques réalisations intéressantes en France, il ne faut pas l’oublier, mais notre pays n’a vraiment aucune leçon à donner, à personne. Tout ce que j’ai vu m’a toujours semblé très fragile, reposant sur une ou  deux bonnes volontés, mais très souvent trop dépendant d’un contexte local, politique, social, économique, extrêmement volatil. Parfois le succès touristique associé au projet est la première menace qui pèse sur le projet. Quelle pérennité ? J’ai rapporté de beaux souvenirs de Tangkoko à Sulawesi, du Ngorongoro, de Zanzibar, Mafia et Pemba en Tanzanie, de Torres del Paine au Chili, d’Arthur River en Tasmanie, Australie, mais que restera-t-il après la Covid ?

Colobe de Kirk, Zanzibar – Francois Moutou

Univet nature Comment faire pour que des fonds publics ne soient plus mobilisés pour détruire la nature ?

Dénoncer, dénoncer et dénoncer ! La loi de 1976 s’appelait « loi de protection de la nature ». Celle de 2016 se nomme « loi de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Quarante ans plus tard on essaie juste de récupérer ce que l’on a perdu, c’est cela l’ambition politique affichée ?

Le gouvernement français entretient une brigade tueuse de loups, y compris de louves gestantes, y compris quand les moutons ne sont plus en alpage, sans aucune évaluation. On continue de tuer la faune sauvage, directement (blaireau, renard, bouquetin, cormoran…) et indirectement (pesticides, remembrement, barrages, assèchement des zones humides) au prétexte de préserver l’économie agricole sans mettre en balance avec les pratiques productivistes à risque et soutenues financièrement.

A La Réunion on attire les requins près des côtes pour les pêcher, là où sont les activités humaines, en ignorant les études scientifiques et sans courage politique.

Mégaderme, Masaï-Mara, Kenya – François Moutou

Univet nature Les vétérinaires jouissent d’une très forte notoriété auprès du public ? Quel rôle pourraient-ils jouer à l’avenir ?

Au-delà du centre de soin animalier, le cabinet ou la clinique vétérinaire pourrait représenter un point d’information et d’éducation à la nature et aux enjeux associés, au-delà des seuls animaux de compagnie.

Déjà pointer la responsabilité de tout détenteur d’un animal vis-à-vis de la faune sauvage libre locale. Ensuite informer sur ce que signifie « acheter » un animal d’une espèce non domestique, souvent exotique, en termes d’impact sur la biodiversité. Enfin, permettre aux personnes intéressées de trouver des informations accessibles sur des programmes de conservation des espèces ou des espaces menacés, proches comme lointains, avec des partenaires associatifs reconnus.

Nasique, parc national de Bako, Bornéo – François Moutou

Univet nature Où en sommes-nous des concepts de « One Health » en France ?

Par leur formation les vétérinaires apprennent la diversité des espèces animales, des pathologies associées aux différentes espèces et les liens pouvant exister entre elles, espèces comme pathologies. Les humains, propriétaires et proches sont évidemment intégrés. Donc la notion « d’un seul monde, d’une seule santé » est naturellement familière aux vétérinaires, que les animaux soignés soient de compagnie ou de production. C’est sans doute moins évident pour les médecins, souvent également moins à l’aise face aux maladies appelées zoonoses, celles dont l’agent circule régulièrement entre espèces animales et espèce humaine. Ceci dit, cette notion est plus souvent entendue qu’appliquée, au niveau du ministère chargé de l’agriculture, aux niveaux intermédiaires (institutions de recherche et instituts techniques), et au niveau des praticien(ne)s. 

Renard gris, Bélize – photo François Moutou

Univet nature Que penses-tu de la démarche des microdons initiés par Univet Nature dans les cliniques ?

Dans le public des cliniques et des cabinets vétérinaires il doit y avoir des personnes concernées par le sort de la nature, des espaces et des espèces menacées. En conséquence, une possibilité d’information et de soutien direct vers des projets reconnus, comme le propose la démarche du microdon, me semble extrêmement bien ciblée et bien adaptée.

Propos recueillis par Benjamin Kabouche – décembre 2020

Des recommandations de lecture de François Moutou :

Les livres, mêmes anciens, sont là pour rappeler ce que nous savons depuis longtemps :

  • Rachel Carson « Printemps silencieux »,
  • Jean Dorst « Avant que nature meure »
  • Romain Gary « Les racines du ciel »
  • Franck Courchamp « L’écologie pour les nuls »
  • Jacques Blondel « L’archipel du vivant »
  • Patrick Tort « L’intelligence des limites » 
Rencontre de Francois Moutou dans la grotte du Mylodonau Chili
  • Bibliographie (non-exhaustive) et documentation de François Moutou

A retrouver sur https://www.babelio.com/auteur/Francois-Moutou/98923/bibliographie

https://www.franceculture.fr/personne/francois-moutou

https://www.youtube.com/watch?v=p4sKcwRGU3chttps://www.babelio.com/auteur/Francois-Moutou/98923